l'Un et le Multiple

Si le Borobudur est le symbole par excellence de l’unité, il est inversement aussi celui de la multiplicité. Le pèlerin qui longe les galeries réalise symboliquement un parcours initiatique à la fois horizontal et vertical et de la réalisation ultime symbolisée par la pointe du stupa central. 

Inversement, le monument est construit à l’image des mille milliards de grains de l’univers où tout est toujours à la fois identique, symétrique et unique. 

Ainsi le symbole du stupa est-il répété 1.544 fois, un multiple de 8, nombre représentant l’infini…





Borobudur exprime, par excellence, l’essence de la doctrine de la délivrance. Chacun est responsable de son salut. Par définition, le bouddhisme renvoie l’homme à lui-même.





Tout cause produit un effet, cette loi bien comprise illustre le déterminisme de toute existence par les actes et les pensées que chaque être produit au cours de son existence et de ses existences successives. C’est la loi du karma, celle de l’enchaînement des causes et des effets.







Mais en réalité cette loi définit notre condition temporelle. L’homme tributaire de l’espace-temps est aussi prisonnier de ses pensées, de ses perceptions, de l’ensemble de tout ce qui forme les structures mentales de son esprit. Les termes dans le bouddhisme, tels que non-être ou vacuité ne sont ni négatifs ni positifs, ils incluent tout simplement la totalité de tous les mondes, de toutes les représentations, de toutes les oppositions et une réalité à la fois transcendantale et immanente qui est informulable.

Ce qui est, est de toute éternité, englobant à la fois tous les passés, et tous les devenirs possibles. Tout le reste,conscience, états divers de l’esprit ne sont que des aspects transitoires et purement conceptuels qui, en fait, n’ont aucune réalité objective ni aucune existence propre en regard de l’être. Ainsi ni l’idée de l’âme, ni celle de Dieu transcendant n’ont-elles leur place dans le Bouddhisme.






Parce que, selon lui, il serait absurde de concevoir ou nommer l’inconcevable. La libération de l’homme se fait par le détachement et le dépouillement des causes qui maintiennent l’illusion et donc de la loi karmique des naissances et des renaissances. Quand l’être est profondément détaché de toutes choses, il est au-delà du bien et du mal, du pur ou de l’impur, au-delà de toute qualification.

Le Bouddhisme n’est athée ou moralisateur qu’en apparence, car à un niveau supérieur les mots eux-mêmes n’ont aucune signification.

 



De ce fait, le Borobudur est véritablement monument unique au monde, car il exprime et contient en lui-même le monde de toutes les formes, et celui de la non-forme ou de la pure vacuité. Il exprime tous les états de l’être et associe l’espace et le temps dans sa structure à la fois horizontale et verticale. Enfin, il est un lieu magique dans la mesure où il renforce et concrétise dans sa forme même l’alliance de toutes les formes opposées et complémentaires qui constitue l’aspect alchimique des mutations successives propres aux formes comme aux états de l’être.

 



Borobudur est donc un livre ouvert inépuisable comme la Connaissance elle-même. Il est en même temps un symbole unique et une alliance de symboles à la fois innombrables et insondables dans la mesure où tout symbole est unique en lui-même et donc chargé de sens et de signification propre, et en même temps en relation ou en interaction avec les autres symboles.

 



Il totalise, à la fois tous les aspects mythiques, symboliques, alchimiques, quels qu’ils soient, et les annule en même temps. En ce sens, Borobudur exprime bien l’aspect fondamental du Bouddhisme qui n’illustre l’aspect existentiel et relatif de toutes choses que pour le vider de tout sens et de toute finalité ultime dans ce que l’on peut appeler encore une fois, le non-être, ou la non-réalité ultime de toutes choses, la Vacuité, en regard de ce qui est.

 



Borobudur est un lieu où toute méditation est à la fois renforcée et supprimée. En tant qu’instrument de méditation et d’accès à la délivrance, il est, selon la terminologie indienne, un yantra. C'est-à-dire une forme géométrique où différentes figures s’interpénètrent d’une manière à la fois symétrique et opposée, et qui est utilisée comme support de méditation et moyen d’initiation.

 





La structure du multiple est remarquablement organisée au Borobudur : ses 2.500 m de bas-reliefs décrivant la vie de Bouddha et l’ascension spirituelle d’un chercheur de vérité, les degrés de l’ascension ponctués par des portes-passages, les 5 directions de l’espace, la structure à la fois horizontale et verticale, tout cela constitue un livre d’une extrême complexité, une sorte d’échiquier représentant tous les possibles. Comme les reflets d’un prisme à mille facettes, Borobudur change aussi avec le ciel, la lumière, le temps et le paysage de montagnes qui l’entourent.




Cette diversité fait que le pèlerin chemine tout au long des passages géométriques de son labyrinthe pour y découvrir avec émerveillement la plus fantastique variété de forme, d’états, et de lieux qui se puisent concevoir. Tel est un des secrets de cette architecture – sculpture - symboles hors du temps.